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En 2021, l’État français a dépensé plus d’un milliard d’euros pour financer des prestations de conseil. Ce chiffre a plus que doublé en cinq ans… Depuis les révélations du livre Les Infiltrés de Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre (Éditions Allary, 2022) et la récente publication du rapport du Sénat intitulé « Un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques », les consultants sont sous le feu des projecteurs, d’autant plus que les sénateurs reprochent au cabinet McKinsey de ne pas avoir payé d’impôt sur les sociétés en France depuis plusieurs années.
Le sujet du « McKinsey Gate » s’est même immiscé dans la campagne présidentielle. À deux semaines du premier tour, le président-candidat Emmanuel Macron a ainsi mis au défi les accusateurs : « s’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal », a-t-il ainsi lancé lors d’une émission sur France 3.
Au-delà de cette polémique, ces révélations interrogent : pourquoi les pouvoirs publics, comme les entreprises, dépensent-ils autant pour des prestations de conseil ? Pour répondre à cette question, nous avons étudié le marché du conseil en management dans 21 pays européens et nord-américains sur les 20 dernières années.
Notre première constatation est que la France n’est pas le pays qui fait le plus appel aux consultants. D’après les données les plus récentes de la FEACO (Fédération européenne des associations de conseil en organisation), elle se situe dans la moyenne européenne, avec des dépenses de conseil qui s’élèvent à 0,31 % du PIB.
Des prestations… quand tout va bien !
Sans surprise, notre étude a également montré que ces écarts s’expliquent en partie par le niveau de développement économique. Les grandes entreprises sont les principaux clients des cabinets de conseil. Comme elles sont plus nombreuses dans les pays les plus développés, les dépenses de conseil y sont également plus élevées.
Autre constatation : les dépenses de conseil sont fortement influencées par la conjoncture économique. Les consultants aiment se présenter comme des médecins à qui les entreprises font appel lorsqu’elles vont mal. En vérité, c’est plutôt le contraire. Les entreprises sont plus susceptibles de faire appel aux consultants lorsqu’elles vont bien. L’explication : elles ont plus d’argent à dépenser en prestations de conseil que lorsqu’elles vont mal !
Outre le développement économique, nous nous sommes intéressés à l’impact de la culture nationale sur les dépenses de conseil. La première dimension culturelle que nous avons prise en compte est la valorisation de la performance (c’est-à-dire la mesure dans laquelle l’amélioration de la performance et l’excellence sont valorisées dans un pays).
Le recours aux consultants est souvent justifié par leur capacité à accroître la performance de leurs clients. Leur principal atout serait leur capacité à extraire les « meilleures pratiques » des entreprises les plus performantes et à les transférer à leurs clients. Leur regard extérieur leur donnerait également un avantage par rapport aux salariés des entreprises pour qui ils travaillent. Nous nous attendions donc à ce que les dépenses de conseil soient plus élevées dans les pays qui valorisent plus la performance. Contre toute attente, nos résultats montrent qu’il n’y a aucun lien entre ces deux variables.
Maîtrise de l’incertitude
Si les entreprises et les pouvoirs publics ne font pas appel aux consultants pour améliorer leur performance, quelle est leur véritable motivation ? Nos résultats suggèrent que les dépenses de conseil dépendent fortement d’une autre dimension culturelle appelée « maîtrise de l’incertitude » (c’est-à-dire la mesure dans laquelle on cherche à réduire l’incertitude dans un pays). Les dépenses de conseil sont ainsi beaucoup plus élevées dans les pays où la volonté de maîtriser l’incertitude est forte, comme l’Allemagne ou l’Autriche, que dans les pays où elle est faible, comme l’Italie ou le Portugal. La France se situe entre ces extrêmes.
En bref, les dirigeants font plus appel aux consultants pour se rassurer que pour résoudre des problèmes qui pourraient souvent être réglés sans aucune aide extérieure. Comme l’a bien résumé un consultant dans la revue McKinsey Quarterly :
« Pour la plupart des dirigeants, une seule chose est pire que faire une erreur : être le seul à la commettre. »
Cette soif de « réassurance » semble également expliquer la popularité des consultants auprès de l’État français. D’après l’ancienne déléguée interministérielle à l’intelligence économique, Claude Revel, citée dans Les Infiltrés :
« Les fonctionnaires ont depuis longtemps perdu confiance en eux, en leurs compétences. Ils se sentent obligés d’ouvrir 50 parapluies, de commander 50 000 rapports pour se protéger en cas d’erreur… Quand j’entends un ministre dire que c’est difficile de décider avec un risque pénal au-dessus de la tête, je suis choquée. Ils ont été choisis normalement pour leur capacité de décision. »
Pour conclure, on peut noter que l’un des articles de recherche les plus connus sur les consultants s’intitule « Le conseil : une activité peu rassurante ? » Quand on y réfléchit, faire appel à des consultants pour se rassurer n’est pas très rationnel. Dans certains cas, ils n’en savent pas plus que leurs clients… et ce sont plutôt eux qui auraient besoin d’être rassurés !
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Jérôme Barthélemy, Professeur et Directeur Général Adjoint, ESSEC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.