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Cet article a été co-écrit par Lionel Sitz, professeur de marketing à l’EM Lyon, et Anne-Christelle Vogler, directeur chez Kea & Partners et co-auteur du livre blanc « IA et IE, la révolution des compétences ».
Premier fabricant mondial de robots, le Japon est particulièrement bien placé pour tester de nouvelles applications robotiques. Par exemple, dans l’industrie hôtelière. En 2015, un hôtel d’un nouveau genre a ainsi ouvert près de Nagasaki : l’hôtel Henn-na, principalement opéré par des robots. L’objectif affiché était d’introduire des technologies de pointe (principalement robotisées) pour gagner en efficacité et, à terme, de devenir le premier hôtel au monde sans personnel humain. Accueillis par un robot-dinosaure, les clients étaient entourés d’applications robotiques en tous genres, de la conciergerie robotisée au bus-robot en passant par le robot-poubelle.
Or, en janvier 2019, après trois ans et demi d’exploitation, l’hôtel a annoncé se séparer de la moitié de ses 243 robots, jugés improductifs. Bien qu’anecdotique, cette expérience relance le débat de la place des robots dans les organisations et, dans le cas présent, dans la relation client. Elle questionne sur la possibilité de déléguer aux robots certaines tâches, voire l’ensemble d’un périmètre d’activités stratégiques comme la relation client.
Hard skills, soft skills
Au premier abord, la réponse logique à cette question semble évidemment négative. Pourtant, la réalité est plus complexe. En effet, déléguer ne signifie pas laisser faire sans contrôle. Déléguer suppose de définir un périmètre de responsabilités et de décisions, des objectifs à atteindre et des critères d’évaluation. Cela implique du management : de la supervision et des points d’étape réguliers.
L’hôtel Henn-na avait d’ailleurs mobilisé des managers (humains) pour piloter en coulisses l’ensemble des activités, mais n’avait pas assez clairement défini les périmètres respectifs des opérateurs humains et robotiques. Alors, comment redistribuer les activités entre l’homme et une machine de plus en plus compétente ? Opérer ce partage des tâches soulève la question de la valeur créée pour l’entreprise : quelles activités, quelles étapes du parcours sont fortement créatrices de valeur et sources de différenciation ? Lesquelles sont des commodités ?
Réaliser ce travail permet d’identifier les compétences à mobiliser entre les savoirs et savoir-faire techniques (hard skills) et les savoir-être relationnel et émotionnel (soft skills). Les hard skills impliquent la capacité à exécuter vite et bien, avec précision et constance, des tâches clairement définies. Sur ce volet les machines sont particulièrement efficaces pour réaliser des tâches répétitives, peu complexes et pénibles. C’est pourquoi ils sont massivement utilisés par les entreprises dans des fonctions de production industrielle. Machines, les robots ne sont pas limités par des questions de fatigue, physique ou psychologique. Précis, ils répètent à l’infini le même geste avec une précision inatteignable par l’homme. L’avantage premier des robots tient donc à leur excellence dans les savoir-faire.
Le [développement de l’_Internet des objets (IoT) et des algorithmes a par ailleurs permis de doter les objets d’« intelligence ». Ceci a donné un nouvel essor à la robotisation puisqu’il est à présent possible aux robots d’être efficaces dans le traitement et le stockage des données. Le savoir est ainsi devenu le nouveau territoire de la machine. Stockage, traitement, vitesse… les robots épluchent des masses importantes de données avec une efficacité sans commune mesure avec celle des opérateurs humains. Pour toutes ces raisons, les hard skills constituent le fort des robots dans la relation client. Quant aux soft skills, ils font appel à l’adaptabilité relationnelle, l’intelligence des situations, l’empathie, etc. Or, les robots et leurs algorithmes ne sont pas encore capables de développer, en tant que tels, un savoir-être leur permettant de gérer des situations ambiguës, complexes et inattendues.
Adaptabilité et reconnaissance
Reprenons le cas de l’hôtel Henn-na qui a choisi de déléguer sa relation client à des machines. Quelles sont les attentes des clients du secteur de l’hôtellerie ? De l’efficacité, certes, pour un check-in rapide ou encore une chambre conforme à leurs attentes ; mais également une personnalisation des réponses et une adaptabilité pour proposer rapidement des solutions face à des demandes non anticipées. C’est pourquoi les moments de contact normés et définis sont aisément déléguables à des robots. Mais la relation client ne peut être réduite à des opérations normées car elle demande de l’adaptabilité et de la reconnaissance. Pour cette raison, elle requiert des compétences relationnelles et émotionnelles.
Le slogan de l’hôtel Henn-na était : « the ultimate in efficiency » (l’efficacité ultime). Or, son pari du tout-robot dans la relation client est pour l’instant raté. Cet échec ne signifie pourtant pas qu’il n’est pas possible de déléguer aux robots, mais pas n’importe quelles activités ni n’importe quelles étapes de la relation client. Le cas souligne en creux qu’elle doit être réservée aux interactions qui ne demandent que peu d’adaptabilité et d’intelligence émotionnelle. Répondre à une question standard (« quelle heure est-il ? ») ou encore réaliser le check-in dans un grand nombre de langues sont des tâches que les robots sont aujourd’hui capables de réaliser (certes avec une supervision comme pour les caisses en libre-service). Mais ils ne sont pour l’instant pas capables d’aider une personne en prenant en compte sa situation personnelle, ses envies ou comprendre des demandes complexes et floues ; autant de tâches qui sont pourtant essentielles.
Quelle sera alors la relation client de demain ? La rapidité et la rigueur d’exécution sont déterminantes et les robots vont certainement jouer un rôle croissant dans la tenue de cette promesse de base. Dans un environnement hypercompétitif, cela est nécessaire mais non suffisant. La différence passe par la capacité à délivrer une relation client non copiable, surprenante et permettant de vivre une expérience à part entière. C’est là le terrain de jeu de l’homme. La relation client sera à la fois de plus en plus robotisée ET de plus en plus humaine : les entreprises qui combineront et superviseront efficacement les deux auront une vraie longueur d’avance.
Une autre question se fait alors jour : peut-on déléguer le management à un robot ?
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Lionel Sitz, Professeur de marketing, EM Lyon
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.