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Les périodes de ralentissement économique de 1993, de 2008 ou bien encore de 2020 ont eu des impacts territoriaux différenciés, que ce soit aux échelles nationales ou locales. Même si les facteurs explicatifs de chacune de ces crises sont très différents, elles ont contribué à une recomposition des trajectoires de développement local.
Face à ces chocs et aux incertitudes pour les années à venir, la notion de la résilience s’est peu à peu imposée dans les analyses économiques pour désigner la capacité d’un système à faire face à un choc passé, présent ou à venir. Elle se mesure en termes de cycle, afin de prendre en compte les variations des emplois ou des revenus, mais également la durée des phases de déclin, de rebond ou de récupération.
Analysée au prisme de ces cycles, l’étude de la résilience des intercommunalités françaises sur le temps long, qui fait l’objet de notre récent article de recherche publié dans la Revue d’économie régionale & urbaine, révèle trois résultats majeurs. Tout d’abord, certains espaces subissent depuis près de trente ans chaque crise de façon plus aiguë que les autres. Ensuite, en matière de résilience, les métropoles ne sont pas nécessairement plus efficaces que les autres territoires. Enfin, la crise de 2020 révèle la fragilité des dynamiques de spécialisation sectorielle.
Plus de résilience à l’Ouest et au Sud
L’analyse des variations de l’emploi observées depuis le début des années 1990 nous permet de mesurer l’impact des crises sur le temps long. Cinq types de trajectoires se distinguent à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) :
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les EPCI en croissance continue de 1993 à 2020 ;
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les EPCI contracycliques, c’est-à-dire en déclin sauf en période de crise ;
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les EPCI sensibles aux crises, mais qui parviennent à rebondir ;
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les EPCI sensibles aux crises, qui ne connaissent pas de rebond ;
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et les EPCI en déclin continu de 1993 à 2020.
15 % des intercommunalités françaises ont connu une croissance continue de l’emploi pendant près de 30 ans (de 1993 à 2019). Si l’on intègre le choc de 2020, ce ne sont plus que 6 % des EPCI qui restent insensibles aux crises, quelles qu’elles soient.
Globalement situés dans les régions au sud du pays, ces territoires profitent des dynamiques de redistribution publique, cumulées à des mécanismes d’attractivité résidentielle et touristique. Pour l’instant, ces territoires tirent un avantage de leur faible exposition aux chocs externes et bénéficient des revenus de transfert issus de la solidarité nationale.
Sans être totalement épargnées, 44 % des intercommunalités apparaissent plutôt résilientes aux crises. Elles sont principalement situées dans l’ouest et le sud du pays.
À côté de cette France plutôt épargnée par les crises passées se déploie un vaste espace d’intercommunalités beaucoup plus fragilisées. Par exemple, 41 % des EPCI ne s’étaient toujours pas remis de la crise de 2008 quand la pandémie est arrivée début 2020. Cumulées sur l’ensemble de la période, ce sont au final 30 %, soit près d’une intercommunalité sur trois (et où réside 20 % de la population française), qui voit ses emplois salariés privés diminuer depuis près de trente ans !
Ces espaces fragilisés par la globalisation des échanges et les processus de métropolisation sont majoritairement situés dans les régions au nord du pays, dans des espaces de tradition industrielle ainsi que dans ce que les géographes appellent la diagonale du vide, s’étendant du Nord-Est au Sud-Ouest et désignant des espaces de faibles densités.
Les métropoles ne sont pas nécessairement plus résilientes
Les grandes villes sont-elles plus résilientes que leurs périphéries ? Certaines métropoles ont été extrêmement résistantes à la crise de 2008, comme Toulouse, Montpellier, Aix-Marseille et Toulon, ou à une autre échelle Lyon et Paris qui ont su rebondir rapidement. Grenoble, Saint-Étienne ou Strasbourg ont, inversement, eu beaucoup plus de mal à récupérer de la crise. La métropole de Grenoble, par exemple, a perdu beaucoup d’emplois et a mis près de 10 ans à retrouver son niveau d’emploi salarié d’avant la crise. Rouen enfin n’a, pour l’instant, toujours pas récupéré de ces chocs passés majeurs.
Dans les travaux récents que nous avons réalisés, nous mettons en évidence l’importance des contextes régionaux, bien plus qu’une fracture entre métropoles et reste du pays. Ainsi, les disparités de résilience sont plus marquées entre les grandes régions françaises, qu’entre les grandes agglomérations et leur périphérie.
Cependant, au sein des régions les plus durement touchées par la crise, l’écart « métropole-hinterland » existe et s’intensifie sur le long terme. Cette situation s’observe notamment dans le quart nord-nord-est de la France, notamment dans les territoires durablement affectés par les crises comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent.
Le Covid révèle les fragilités sectorielles
La crise socio-économique liée au Covid-19 est évidemment très différente de celle de 2008, déjà très différente de celle de 1993. Les premiers chiffres nationaux et infranationaux disponibles montrent que les secteurs les plus touchés sont liés à la baisse de la demande des ménages : commerces et services marchands, tourisme, loisir, transport de voyageurs. Ces secteurs étant présents dans la plupart des territoires français, la régionalisation du choc observée est beaucoup plus diffuse que celle observée en 2008. Notons néanmoins que certains secteurs productifs ont également souffert, à l’image de l’aéronautique.
Ce que nous apprend cette crise, c’est le fait que des territoires jusque-là spécialisés dans des activités dynamiques, systématiquement épargnées par les crises précédentes, se sont retrouvés touchés de plein fouet par l’arrêt de nos modes de vie et le fort ralentissement des échanges globaux. Les petites villes spécialisées dans une industrie particulière, comme l’aéronautique ou le tourisme, ont été épargnées en 2008, mais ont payé un lourd tribut en 2020.
Ainsi, des secteurs qui aujourd’hui peuvent paraître hors de danger de tout choc conjoncturel (l’électronique par exemple), peuvent très bien être affectés demain par une guerre, par des aléas naturels majeurs, par la raréfaction d’une ressource telle que l’eau, etc. Dans le monde d’incertitude où nous vivons, les stratégies d’hyper-spécialisation qui ont prévalu dans le passé apparaissent pour le moins risquées, sinon totalement dépassées.
La résilience est un enjeu de long terme et les périodes de reprise, puis de récupération sont tout aussi fondamentales que les réponses apportées au moment du choc. Les analyses géoéconomiques développées dans nos travaux permettent de mettre en lumière les territoires blessés par les décennies passées. Dans ces espaces, l’État doit intensifier et adapter des politiques nationales de relance – notamment industrielle – en fonction des besoins de la population, des spécificités territoriales et des défis environnementaux qui nous attendent.
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Magali Talandier, Professeure des universités en études urbaines, Université Grenoble Alpes (UGA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.