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Depuis la crise sanitaire, les organisations professionnelles de l’hôtellerie-restauration ont mis en place des initiatives pour tenter de limiter la pénurie de main-d’œuvre qui touche le secteur, notamment une revalorisation de la grille salariale. Mais ces efforts n’ont produit des effets qu’à la marge. D’après l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), entre 200 000 et 300 000 emplois restaient toujours non pourvus fin 2022.
Les raisons de cette pénurie sont multiples : salaires trop faibles, avantages sociaux limités, horaires de travail décalés, etc. Travailler dans les métiers de service, c’est aussi se soumettre aux diktats du « client-roi ». Certains consommateurs inscrivent en effet les relations de service dans un rapport de domination, qui peut être très difficile à vivre pour les employés.
Pour répondre à cette question, nous avons mené une étude, publiée récemment dans Journal of Business Ethics, au sein d’un groupe d’hôtellerie. Nous avons interviewé 23 employés et managers travaillant dans l’hôtellerie – restauration en France : serveur, femme de chambre, barman, réceptionniste, directeur d’hôtel, chef de rang, femme de ménage, concierge, manager au siège, manager des ressources humaines, etc. L’un d’entre nous a également travaillé dans un hôtel dans des emplois variés (ménage, service en salle, réception, conciergerie, etc.) pendant plusieurs mois.
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Cette étude a permis de mettre en lumière le manque de reconnaissance vécu par les employés de service, qui provient principalement de quatre sources :
L’invisibilité. Certains clients se comportent comme si les employés n’étaient pas là. Ils les ignorent : pas de salutation, ni même un regard, ils continuent leur conversation téléphonique pendant l’interaction de service comme si les employés n’étaient pas là, etc. Ange, manager du restaurant de l’hôtel, explique :
« Quand les clients me parlent, s’ils ne me regardent pas, je n’aime pas ça, je n’aime pas ce genre d’attitude. La base de tout cela est le respect. Si vous ne regardez pas la personne dans les yeux, alors vous ne la respectez pas. Parce qu’il y a des moments je prends la commande et le client ne me regarde même pas. Il ne sait même pas qui il a devant lui. Pour moi, c’est un manque de respect ».
Dans ces situations, les employés se sentent invisibles physiquement et socialement. Ils ont l’impression de ne pas exister.
« Le client l’a appelé en claquant des doigts comme s’il appelait un chien »
L’inégalité des statuts et des droits. Certains clients considèrent que leur statut de client leur donne tous les droits et inscrivent les employés dans des relations de pouvoir et des situations de domination. Fort de leur statut et de leur pouvoir, ils peuvent avoir des comportements inappropriés : parler aux employés de façon méprisante, voire même les insulter s’ils ne sont pas assez réactifs à leurs demandes. Chris, qui travaille dans le restaurant de l’hôtel, en témoigne :
« Un client est venu pour un repas et au moment de sa commande, il a dit au serveur : “j’apprécierais si vous pouviez faire ça rapidement”. […] Le serveur a noté la commande. Il allait la transmettre à la cuisine, et là, le client l’a rappelé en claquant des doigts… comme s’il appelait un chien. Incroyable ! »
Le décalage émotionnel. Les activités de service passent souvent par une relation émotionnelle qui va au-delà de l’interaction commerciale. Il faut accueillir les émotions du client et faire preuve d’empathie. Or, cet échange émotionnel est souvent unidirectionnel. Alors que l’employé doit en permanence faire plaisir aux clients, les clients prennent rarement en considération les émotions des salariés.
Uta, responsable des services de ménage, raconte sa déception quand un client ne les a pas remerciés pour l’attention spéciale qu’ils avaient eue pour lui :
« Il y a un invité, c’est un habitué. Il est directeur d’un cirque et avait l’habitude de laisser chaque année des billets gratuits au personnel. À Noël, je voulais le remercier pour toute sa gentillesse au nom de l’équipe, alors nous lui avons écrit un poème et nous lui avons offert deux cadeaux avec un grand sourire, un grand merci. Mais je n’ai jamais eu de réponse de sa part. C’était une vraie déception, au point que j’ai senti que j’avais besoin d’en parler ».
« Aucun plaisir à être un laquais »
Le manque de reconnaissance des compétences. Chaque métier de service repose sur un ensemble de techniques, compétences et connaissances. Certains métiers demandent une longue formation. Or, ces compétences sont rarement valorisées et reconnues par les clients rois. Ils ne voient pas (ou ne veulent pas voir) les compétences, le travail et les efforts fournis par les salariés. Ils prennent trop peu le temps pour apprécier le travail réalisé, les remercier et les féliciter.
Ainsi, Jean se sent dévalorisé quand les clients ne prennent pas le temps de reconnaître son travail et ses compétences :
« Ce n’est pas vraiment servir quelqu’un mais c’est comme être son laquais. Faire exactement ce qu’il me demande et baisser la tête, je n’y prends aucun plaisir. Je dois le faire. Je le fais avec le sourire, mais au fond de moi je me sens sale de faire ça, de servir quelqu’un qui n’est pas un bon client, qui n’apprécie pas ce que je fais. Pour moi, il y a du plaisir à être serveur. Il n’y a aucun plaisir à être un laquais mais je dois le faire pour le salaire ».
Ainsi, ce manque de reconnaissance peut participer à un sentiment d’épuisement professionnel des employés de service, surtout pour ceux qui sont en première ligne face aux clients.
Mettre en scène le savoir-faire
Sur la base de nos travaux, nous avons également identifié plusieurs leviers qui facilitent les dynamiques de reconnaissance et qui permettent aux employés de se sentir valorisés. L’objectif est de rééquilibrer les rapports de pouvoir entre clients et employés, en permettant aux employés de démontrer leurs compétences et en donnant aux clients l’occasion de reconnaître le travail réalisé.
Par exemple, le design des espaces de service joue un rôle majeur dans l’asymétrie de pouvoir entre l’employé et le client et la visibilité du travail et des compétences des employés. Il convient de penser ces espaces non uniquement en fonction du client mais également en fonction des dynamiques de reconnaissance. Le design d’un lieu peut en effet mettre en scène le savoir-faire des employés et imposer des limites matérielles aux clients en restreignant leur capacité à exercer publiquement leur autorité sur les employés.
Ces actions peuvent permettre d’estomper la position de pouvoir du client-roi et ainsi de réduire le sentiment des employés d’être parfois les esclaves d’un client, qui se sent comme un souverain tout puissant.
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Kushagra Bhatnagar, Assistant professor, Aalto University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.